Il y a des hommes, il y a des femmes, il y a la sexualité, et tout cela n’est pas organisé par une règle « naturelle » ! Qu’il y ait des hommes et des femmes s’écrit à partir du signifiant qui, de cette opposition, tente de répondre à ce qui se présente comme vérité biologique. C’est à partir de là que Freud a recherché un élément constituant qu’il a épinglé du signifiant phallique. De là il tente de nouer homme et femme dans la circulation pulsionnelle. Mais la déclinaison position masculine / position féminine l’embarrasse puisque l’opération symbolique de la castration, avec ses dissymétries, laisse à désirer… Ses essais de spécification le conduisent tant au roc de la castration qu’a l’opacité d’une réponse féminine qu’il nomme « continent noir » [1]. La pulsion telle qu’il l’élabore, échoue sur la rive de l’écart des jouissances. La libido, cette pulsion si utile au lien, n’évite ni ratage, ni malentendu. Le sujet reste fondamentalement seul dans la langue, avec au mieux son fantasme. Freud écrira sur le choix d’objet du névrosé [2], sur la vie amoureuse [3]ou sur le tabou de la virginité [4].

Des effets de langage et de ses conséquences, Lacan en a cherché la logique. Il va notamment mettre en valeur autrement le corps vivant avec la notion de jouissance. Il chemine du sujet du signifiant au « parlêtre », de la force du symbolique à la puissance déroutante du réel. Le séminaire « Encore » [5]sera un temps de basculement. Si Lacan y propose que « la jouissance en tant que sexuelle est phallique », c’est  que « la sexuation et la sexualité ne se situent que du signifiant et du signifiant particulier qu’est le phallus comme médiateur entre les sexes ». Mais à l’inverse la jouissance n’est pas toute phallique, autrement dit sexuelle, cette Autre jouissance supplémentaire, il l’inscrit dans son tableau de la sexuation. Lacan en viendra alors à cette formule « qu’il n’y a pas de rapport sexuel » car « le signifiant n’est pas propre à donner corps à une formule qui soit du rapport sexuel » [6].

L’amour se présente alors comme une réponse pour équilibrer la jouissance dans le lien social. Si l’amour supplée au non rapport sexuel dans le Séminaire Encore, pour articuler la jouissance dans un lien social qui laisse son empan au désir, cette solution rencontre sa limite. Déjà dans le séminaire L’angoisse, S. Marret Maleval note que Lacan indique  combien ce qui manque à l’Autre n’est pas un signifiant, le phallus, comme il l’avait affirmé jusqu’alors, mais un objet réel, hors langage [7]. Cet ancrage dans le réel complique tout traitement de la jouissance pour le sujet et aura des conséquences sur les cures. Jacques Alain Miller désignera d’ailleurs le dernier paradigme de la jouissance, paradigme « du non rapport », effleurement du réel qui se conjoint au fait que, pour la psychanalyse il y a toujours un certain ratage.

La question de la sexualité, des sexualités, accompagne la civilisation. J L Milner [8] rappelle combien la liste de ces sexualités est plurielle. Foucault s’y est trouvé arrêté dans son travail historique, passant de la question de la sexualité à celle du désir, mettant ainsi indirectement en jeu la condition subjective de toute sexualité humaine. Milner rappelle que pour Lacan la sexualité est un maquis, il aurait tenté de contrer ce fouillis en traçant les bases d’un jardin à la française. Cette sexualité, ces sexualités, toute civilisation a tenté de la/les cadrer dans un discours qui organiserait une sexualité articulée au phallus. Mais aujourd’hui aucun discours ne semble établi de façon assurée. Ainsi peut-on lire chez Paul B. (Beatriz) Preciado cet appel (Quatrième de couverture de son livre) [9] « Je ne suis pas un homme je ne suis pas une femme je ne suis pas hétérosexuel je ne suis pas homosexuel je ne suis pas bisexuel. Je suis un dissident du système genre-genre » (pas de virgules). Il précisera sa position contre un discours qu’il repère à sa façon : « l’homosexualité et l’hétérosexualité, l’intersexualité et la transexualité n’existe pas en dehors d’une épistémologie coloniale et capitaliste, qui privilégie les pratiques sexuelles de reproduction comme stratégie de gestion de la population, de la reproduction de la main d’œuvre, mais aussi de reproduction de la population qui consomme ». Cette position de contestation de toute limitation de la sexualité par des signifiants qui seraient au service du maitre le conduit à pousser chacun vers l’invention continue. Il témoigne, d’une période entre deux de sa transformation où il fut dit « gender fluid ». « La fluidité des incarnations successives s’est heurtée à la résistance sociale à accepter l’existence d’un corps en dehors de la binarité sexuelle » (pp 32/33). Evidemment le corps toujours vient par sa place réelle mettre en cause tous les jeux de signifiants et le laisse en plan, lui qui a fini par construire sa nomination en rêvant.

De tout ce parcours nous parlerons cette année, de façon historique, théorique et clinique, à partir de soirées de travail mais aussi avec des invités qui choisiront de filer leurs propres réflexions sur les questions de ces sexualités contemporaines, de leurs variations et  des traitements contemporains du réel du corps et du sexuel.

[1] Dans Freud “La question de l’analyse profane », 1926: “La vie sexuelle de la femme adulte est encore un continent noir pour la psychologie”, empruntant cette expression à J. R. Stanley explorateur de l’Afrique.

[2] Freud, «  Un type de choix d’objet chez l’homme », (il est désormais dans le domaine public !!!

[3] Freud, « Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse », 1912

[4] Freud, « Le tabou de la virginité » 1917

[5] Lacan J. Le Séminaire XX, Encore, Seuil, Paris

[6] Lacan J., Radiophonies, Seuil, Paris.

[7] Marret Maleval S., « Un impossible accord : amour et non-rapport sexuel », Lectures théoriques, https://www.causefreudienne.net/un-impossible-accord-amour-et-non-rapport-sexuel/

 [8] Milner J. C., Zizek S., Lucchelli J. P., « Sexualités en travaux », Essai, éditions Michele, 2018.

[9] Preciado P. B., « Un appartement sur Uranus », Grasset, Paris, 2019.

 

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