En présence de Laurent Dupont, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP
Pourquoi s’interroger sur la responsabilité aujourd’hui ? En quoi cette notion intéresse-t-elle les institutions ? La responsabilité est « une position qui donne des pouvoirs de décision, et qui implique que l’on en rende compte ». Elle concerne aussi bien les institutions que les sujets accueillis en son sein. L’étymologie du mot responsabilité nous ramène à la dimension de la réponse, car elle est en effet « l’obligation de répondre de ses actes ». Dès lors que l’on présume que l’institution se doit de répondre à une demande sociétale, elle se trouve être concernée par la responsabilité. Néanmoins, cette question se trouve au carrefour de plusieurs discours. L’idéal du discours moderne voudrait que l’homme soit infaillible et propose de compenser ce qui s’avère être chez lui déficitaire, insuffisant, inadapté, etc. L’homme en pleine possession de ses moyens devrait-il être tout-responsable, s’auto-réguler, et se passer ainsi de l’appui de l’Autre, et donc des institutions ? La domination actuelle du discours du droit a pour effet que les droits se revendiquent pour tous, sans distinction, et l’on demande à chacun de prendre ses responsabilités. Le discours du droit néanmoins diffère de celui de la Justice , qui est limité par le concept d’irresponsabilité, incluant une réponse au cas par cas. Cela permet à la Justice de répondre à ses principes fondateurs d’humanité et de contradiction, comme a pu le dire Robert Badinter. Les magistrats restent en place de répondre, d’assumer une décision et d’en rendre compte, pas sans quelques autres, pas sans débat, et pas sans question.
La responsabilité relèverait-elle de l’acte de la décision, qui n’est jamais sans une certaine angoisse ? Est-ce là un des ressorts du glissement actuel des responsabilités, volontiers reportées sur l’autre, jusqu’à la faire endosser aux sujets accueillis eux-mêmes comme semblent l’appeler les principes modernes d’auto-détermination ou d’éducation thérapeutique ? Rendre responsables les individus, est-ce les rééduquer ? Pour la psychanalyse, cet appel à la responsabilité de tous traduit, selon Jacques-Alain Miller, « l’effort immense qui est fait aujourd’hui pour accomplir […] une rectification subjective de masse, destinée à harmoniser l’homme avec le monde contemporain, à combattre et à réduire ce que Freud a nommé […] le malaise dans la civilisation ». Est-ce là une conséquence logique du discours moderne que de voir l’institution désanctuarisée au profit de plus en plus de « dispositifs », de « suivis ambulatoires » qui la mettent, ainsi que les professionnels qui la constituent, à distance, parfois jusqu’à laisser le sujet, qui y demande accueil, livré à lui-même ? De quoi voudrions-nous qu’un enfant soit responsable ?
La situation de handicap d’un sujet a-t-elle ou non des conséquences sur sa responsabilité ? Qu’attendons-nous de ces sujets qui frappent à la porte des institutions ? La psychanalyse s’oriente du discours de l’inconscient qui a pour conséquence que « le moi n’est pas maître en sa demeure ». Responsabilité subjective et responsabilité à l’égard de la loi se distinguent. La responsabilité ne se pense qu’au cas par cas, infléchissant ce qui tend à se collectiviser. Elle concerne le sujet accueilli en institution et participe du registre de sa dignité. La psychanalyse peut être une boussole pour orienter le travail indispensable des institutions. Lacan indique en effet que c’est « de notre position de sujet [que] nous sommes toujours responsables ». Gageons que cette journée de travail puisse, dans les espaces de conversation qu’elle ouvre, permettre que s’entende le vif du désir qui fait la joie du travail dans les institutions.
[1] Définition du Larousse.
[1] Cf. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
[1] Cf. Miller J.-A., « Rien n’est plus humain que le crime », Mental no 21, « La société de surveillance et ses criminels », Paris, 2008.
[1] Cf. Badinter R., Discours pour l’abolition de la peine de mort le 17 septembre 1981, « Parce qu’aucun homme n’est totalement responsable, parce qu’aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable. Pour ceux d’entre nous qui croient en Dieu, lui seul a le pouvoir de choisir l’heure de notre mort. Pour tous les abolitionnistes, il est impossible de reconnaître à la justice des hommes ce pouvoir de mort parce qu’ils savent qu’elle est faillible » et « Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. » disponible sur internet.
[1] Miller J.-A., « Parler avec son corps », Mental, no 27/28, septembre 2012, p. 129.
[1] Freud S., « Une difficulté de la psychanalyse », in Inquiétante étrangeté et autres essais, folio, 1985, p. 186.
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