Soirée cinéma sur le thème « Politique au féminin » autour du film de Judith Davis « Tout ce qu’il me reste de la révolution », en présence de la réalisatrice qui dialoguera avec le cartel cinéma et psychanalyse de Rennes (Yvon Bernicot, Benoit Delarue, Alain le Bouëtté, Ariane Oger, Gabrielle Ombrouck et Caroline Doucet plus-un).

 

Trois questions à Judith Davis

autour du film Tout ce qu’il me reste de la révolution

Cinéma et psychanalyse : Après des débuts en école d’architecture, puis un DEA en philosophie, vous prenez un virage décisif : le théâtre avec le collectif L’avantage du doute[1], dont est issu le film Tout ce qu’il me reste de la révolution. Que pouvez-vous nous dire de ce virage ?
Judith Davis : A l’image d’Angèle, mon double de fiction, je cherchais depuis l’adolescence à « inventer des idées pour changer le monde et à appliquer ces idées dans la réalité ». Mon but était d’essayer dans mon travail « de vivre au quotidien selon mes convictions ». Je cite ici la voix off qui ouvre le film. Or cette exigence de cohérence est difficile à trouver et encore moins à décréter dans notre société. Lorsque j’ai réalisé que l’application concrète que je cherchais pouvait se réaliser dans l’espace-temps de la fiction, et s’incarner réellement dans les dilemmes de personnages de théâtre, tout en suscitant des réflexions réelles et non fictives sur des spectateurs, ça a été une évidence. J’ai ensuite choisi de travailler en collectif, c’est-à-dire sans hiérarchie et avec une expérience concrète de la démocratie directe, pour essayer de faire vivre cette utopie qui était en moi depuis toujours. À une autre époque j’aurais peut-être fait de la politique.
C.P. : Réaliser un film sur l’héritage de mai 68 en 2019, est éminemment politique et touche les enjeux contemporains de notre époque. Qu’avez-vous voulu viser ou transmettre ?
J.D. : Mon film essaie d’interroger un état des lieux du politique et de l’engagement aujourd’hui à travers l’histoire d’une famille. Ce qui est fou avec notre époque, c’est qu’en l’espace d’une génération, le monde entier a radicalement changé sa géométrie politique. Ce qui m’intéresse c’est l’endroit où l’intime et le politique se mélangent. La famille d’Angèle ne s’est jamais vraiment relevée de la chute du mur de Berlin, et ça donne des incompréhensions sur tous les plans. Les parents voulaient changer le monde et pensaient que c’était à portée de main, les deux filles ont grandi dans l’avènement de la culture d’entreprise. Et pourtant on mange tous dans la même cuisine. C’est une porte d’entrée forte à mon sens pour parler aussi bien et dans le même temps, de la violence sociale contemporaine que de la difficulté de vivre sa vie et de devenir ce que l’on est.
C.P. : Vous dites dans une interview[2] vous questionner sur le « comment » plutôt que sur le « pourquoi ». Vous pouvez préciser ?
J.D. : Alors c’est bien sûr l’inverse. C’est le « pourquoi » qui m’importe. Nous sommes dans un monde qui ne s’intéresse plus au « pourquoi ». Nous sommes taxés de naïveté ou d’immaturité dès que le « pourquoi » est formulé. « Pourquoi devons-nous faire du profit avec la santé, l’éducation ou la culture? ». On nous rit au nez et on nous substitue systématiquement la question du « comment » à la question du « pourquoi ». Et le monde est alors régi par l’évidence du « COMMENT allons-nous faire des bénéfices avec l’hôpital et l’école etc… ». C’est un scandale et une tartufferie. La vraie réponse est que le critère de la rentabilité a supprimé tous les autres et que ceux à qui cela profite, ont intérêt à nous faire oublier qu’un état n’est pas une entreprise. Il y a des dimensions entières de ce qu’un état est censé garantir, à savoir son service public, qui ne peuvent pas être jugées à l’aune de la rentabilité car ce critère y est tout simplement un non-sens, justement pour ces dimensions-là. Je m’entête ainsi à travers Angèle à répéter et faire renaitre de ses cendres cette question du pourquoi, balayée par les faux arguments prétendument « réalistes » de notre temps.
[1] Collectif composé de Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Claire Dumas, Nadir Legrand, Judtih Davis.
[2] Arras film Festival 2018.

Informations

Cinéma du TNB, 1 rue Saint Helier, Rennes

Contact

Renseignements : ariane.oger@wanadoo.fr.