Conversation avec Laure Naveau, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP

Une deuxième saison de la série En thérapie d’Olivier Nakache et Eric Toledano est parue sur Arte en 2022, montrant l’attention accordée par un large public à un dispositif de soins par la parole. Il revient à Freud d’avoir inauguré un type de traitement par la parole
« révolutionnaire », bouleversant la manière d’appréhender la réalité psychique au début du XXème siècle, mettant à jour que le « moi » n’est pas maître en sa demeure et que le désir inconscient d’un sujet peut aller à l’encontre de ses propres intérêts. Lacan, à sa suite, a développé la Chose freudienne pour maintenir le fil tranchant et subversif de la découverte d’une division subjective qui affecte tout être de langage d’un manque-à-être de structure et impacte sa relation à son propre désir.
En 2022, à l’époque du « tout neuro » ou de discours moïques, voire surmoïques, frappés de dénis de l’inconscient, comment est-il encore possible d’analyser ? On constate que les demandes ont changé, que les sujets consultent plus spécialement à la suite « d’expériences » ou d’épreuves ayant affecté leurs corps, « d’évènements » traumatiques ayant bouleversé leurs vies ou encore de « crises » d’angoisse faisant irruption sans parfois qu’ils puissent les subjectiver. La boussole du désir inconscient, développée tout au long du Séminaire VI, Le désir et son interprétation, peut-elle toujours nous orienter ?
À celui d’inconscient, Lacan substituera plus tard le mot de parlêtre rendant plus explicite le fait que nous sommes non seulement des sujets divisés par le langage, mais des corps parlants.
Rencontrer un psychanalyste est certes un engagement dans un dispositif de parole permettant une relecture des évènements de la vie d’un sujet pour en dégager une logique inconsciente, mais la spécificité de la psychanalyse est de produire une interprétation qui opère par la coupure et qui vise une approche du désir inconscient et du fantasme qui le sous-tend ainsi qu’un repérage des objets de jouissance propres à chacun.
C’est une expérience inédite qui donne au sujet un aperçu sur ce qui fait symptôme pour lui dans son rapport au manque-à-être fondamental et qui concerne, au plus près, son corps, ses signifiants, ainsi que le réel auquel il a affaire – ce qui ne sera pas sans conséquences sur son sentiment de vie…

L’après-midi de travail a été préparée par un cartel : Caroline Bonnamy, Christine Dadillon, Nathalie Dahier, Nadia Marhoum, Marie-Christine Ségalen et Isabelle Rialet-Meneux, membre de l’ECF, plus-un.
La Conversation sera ponctuée de vignettes cliniques et de textes émanant du cartel commentés et discutés par Laure Naveau.

 

Programme

Programme 14H30-17H

Introduction par Laure Naveau

Première séquence : Comment s’orienter de son désir ?

Ouverture : Nathalie Dahier – Le désir en question

Marie-Christine Ségalen – « Comment faire pour que ça cesse ? »

Deuxième séquence : Avec ou sans fantasme ?

Christine Dadillon – Un désir décidé

Isabelle Rialet-Meneux – Pas en son nom

 Troisième séquence : Programme de jouissance et division subjective

Caroline Bonnamy – Un pari à tenir

Nadia Marhoum – Vers les J52

Conclusion par Laure Naveau

 

Trois questions à Laure Naveau

  • Burn-out, stress, angoisse, éco-anxiété, hypersensibilité, tels sont fréquemment aujourd’hui les motifs de consultation. Quelle peut être la spécificité de la psychanalyse dans l’abord de ces souffrances psychiques ?
  • Comment faire entendre l’opérativité d’une approche par le désir inconscient dans le contexte actuel de son « déni » ?
  • Face aux « désordres imaginaires » du monde contemporain et la chute de la garantie qu’offrait la métaphore paternelle, quelle boussole éthique et politique peut offrir la psychanalyse ?

Vos questions sont bienvenues, dans ce contexte où existe, pour la psychanalyse, un enjeu vital dans le malaise actuel de la civilisation, qui se traduit par ce que Jacques-Alain Miller avait nommé dans son texte puissant de 2006, « une guerre entre les sujets supposés savoir »[1]. Il y mettait en évidence une donnée fondamentale qu’il nomme « guerre des discours ». J’en rappelle les points saillants, qui serviront de boussole à mes trois réponses :

« (…) Notre art du sujet supposé savoir fait objection au discours contemporain de maître. (…) Le savoir semblant absolu est ce savoir chiffré, numérique, dont nous sommes assaillis (…) Le questionnaire, déjà, induit une autoévaluation individuelle, qui suppose, qui en soi-même constitue une négation de l’inconscient. (…) L’enjeu est vital pour nous, car le sujet supposé savoir, c’est le nom de l’inconscient en tant que transférentiel. »

  1. Ainsi, votre première question met en relief ces nouvelles nominations du maître moderne, qui figent le sujet sous des signifiants universalisants niant la singularité du symptôme dans son rapport à l’inconscient. La spécificité de la psychanalyse consiste alors à réintroduire du champ dans l’accueil de la parole, qui prenne en compte cette particularité niée, et à « conduire le sujet analysant à se retrouver dans le fatras dont il consiste comme sujet de l’inconscient »[2]. L’approche psychanalytique redonne une place à la bévue, à ce qui rate, soit au réel en jeu dans la souffrance du sujet, qui peut introduire celui-ci à une nouvelle formulation de ce qui l’assaille et à sa résolution singulière.
  2. Comment se mesurer au maître actuel (le maître du chiffre donc), dans ce contexte de guerre des discours ? L’opérativité d’une approche par le désir inconscient est donc une affaire de discours, qui consiste essentiellement dans le fait de rétablir avec son inconscient un rapport de proximité, voire d’amour, un jeu où le langage retrouve sa place structurale, où le corps est convoqué en présence, et où une place est faite à la part subjective niée, celle qui contient une indicible jouissance nocive qu’il s’agit de faire venir au jour et de traiter.
  3. La boussole éthique, – clinique – et politique que peut offrir la psychanalyse « face aux désordres imaginaires du monde contemporain et à la chute de la garantie qu’offrait la métaphore paternelle », comme vous le formulez si bien, est donc cette « orientation vers le réel ». Par celle-ci, est restituée une dignité au désir et au manque qui le soutient. L’incomparable désir comme unique boussole donc, face à la civilisation des « plus-de- jouir en toc » dont parlait Lacan dans son Envers de la psychanalyse.

Ici réside l’ouverture vers le nouveau, une ouverture qui redonne du jeu au sujet écrasé par les injonctions surmoïques d’une époque et de sa course folle à la consommation, un nouveau lieu et un nouveau lien donc, avec ce sujet supposé savoir qu’il revient aux psychanalystes « d’assumer, de protéger, de développer, (ce qui) ne va pas sans doute sans l’aimer un peu. »[3]

[1] Miller J.-A., « Notre sujet supposé savoir », intervention aux Journées d’étude de l’ECF 2006 pour les Journées 2007, publiée dans la LM 254 janvier 2007 et lisible sur le Blog de l’AMP (rappelé lors du séminaire interne de l’Assemblée consultative de l’ACF-VLB 2022 par Hélène Girard dans son texte « Accueillir la méprise »)

[2] Miller J.-A., Ibid.

[3] Miller J.-A., Ibid.

Informations

Maison de quartier de Rocabey
7 rue Jules Ferry, 35400 Saint Malo
Participation aux frais : 10€ / 8€ (étudiants, demandeurs d’emploi)

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