Téléchargez la brochure !

« Le semblant n’est pas une vaine illusion. Le semblant opère. »
Jacques-Alain Miller, « De la nature des semblants »

Cette année d’étude de l’ACF en VLB à Rennes porte sur le thème du semblant, auquel Lacan a consacré son Séminaire : D’un discours qui ne serait pas du semblant. C’est un thème d’actualité, dans l’époque où les « semblants vacillent », spécialement celui du Nom-du-Père.

En introduisant le semblant dans son enseignement, Lacan remanie les catégories de la vérité et du réel. La première n’y est pas présentée comme splendide, mais comme articulée, tissée de semblants, donc de signifiants, d’équivoques et de variations. La vérité a structure de fiction, elle n’est pas « le contraire du semblant »[1], mais en est corrélative. Lacan rappelle les développements des années précédentes, conséquence directe de ce constat : il n’y a pas d’Autre de l’Autre et on ne peut dire le vrai sur le vrai, il y a donc du réel au-delà de la vérité.

Nul mensonge au champ du réel : « Le réel, tel qu’il apparaît, précise Lacan, […] dit la vérité, mais il ne parle pas et il faut parler pour dire quoi que ce soit. Le symbolique, lui, supporté par le signifiant, ne dit que mensonges quand il parle »[2]. Lacan réfute la possibilité d’atteindre le réel sans en passer par le semblant. En effet, « notre discours […] ne trouve le réel qu’à ce qu’il dépend de la fonction du semblant »[3]. La psychanalyse ne vise pas à déconstruire les semblants, au sens de les détruire. Plutôt cherche-t-elle un au-delà des semblants à partir de ces derniers. La seule condition pour les subvertir et pour viser le réel est de réaliser l’opérativité des semblants.

Les non-dupes sont « “non-dupes” des semblants », avance Jacques-Alain Miller, en les connaissant « comme semblants, ils croient pouvoir ne pas s’en servir. Mais c’est être dupe par un autre tour que de ne pas se servir des semblants »[4] ! Il y a une opposition féconde entre les semblants et le réel. À la nier, à dénoncer les semblants en les dénigrant comme tels, le sujet erre et s’éloigne du réel, car : « Il faut en passer par les semblants de la parole et de la vérité pour approcher des bords du réel »[5].

Le semblant est ce qui permet de nommer, de signifier, de mettre du sens et de se représenter. Ce, afin d’aborder ce qu’il en est du réel. Le semblant est un mixte d’imaginaire et de symbolique. Il est impossible d’élaborer un discours sans y avoir recours. C’est pourquoi Lacan introduit cette dimension lorsqu’il formalise ses quatre discours. Pour illustrer cela, Lacan évoque les débuts du discours scientifique. Il a fallu observer les astres pour pouvoir ensuite produire un discours avec les termes adéquats qui en rendent compte. On s’en fait une représentation grâce au semblant, la constellation étant le « semblant typique »[6]. Et il ajoute le tonnerre, ce qu’il définit comme la « figure même du semblant », car « c’est un signe, même si on ne sait pas le signe de quoi c’est »[7]. Notation importante pour appréhender la notion de semblant : « Il n’y a pas de Nom-du-Père tenable sans le tonnerre »[8]. C’est-à-dire que le tonnerre est le signe annonciateur qui prévient de l’arrivée imminente de quelque chose, sans qu’on sache vraiment de quoi il s’agit tout comme le signifiant du Nom-du-Père prévient et permet de métaphoriser le désir énigmatique de la mère.

La nature pullule de semblants qui sont autant de « signifiants imaginaires »[9], comme en témoigne la parade amoureuse chez l’animal, avec ses gestuelles et ses couleurs, indiquant l’appel à l’accouplement. Il n’en va pas tout à fait de même pour la femme et l’homme. Certes, il y a le paraître, mais c’est l’usage du semblant en tant qu’il est « véhiculé dans un discours »[10] qui est essentiel, comme dans le discours amoureux. Lacan n’y va pas par quatre chemins pour dire qu’un discours sans semblant conduit au viol, au passage à l’acte, et, ajoutons, à l’insulte. Quand le semblant se dénude, le réel apparaît. C’est pourquoi J.-A. Miller insiste pour dire que le semblant est tout ce qu’il y a de plus sérieux et qu’on ne badine pas avec[11], car il a pour « fonction de voiler le rien »[12]. En cela, le semblant est « l’antonyme, l’opposé, du réel »[13].

Dans sa présentation du Séminaire, J.-A. Miller fait allusion au monde des semblants et du paraître qui est spécialement présent dans les relations entre les sexes. Lacan pose que l’identité de genre est strictement définie par les termes d’homme et de femme : « il est du destin des êtres parlants de se répartir entre hommes et femmes »[14]. Cela implique que « ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme, et inversement »[15]. Il invite à bien distinguer les semblants et le réel « qu’ils voilent et manifestent à la fois, celui de la jouissance ». Côté femme, la jouissance est diffuse et « insituable », marquée d’inconsistance ; côté homme, elle est articulée à un « semblant majeur, le phallus »[16].

Disons que la femme est moins dépendante du phallus comme semblant majeur. Il en découle qu’elle est plus libre et, en quelque sorte, se voile moins la face quant aux semblants : « la jouissance féminine, explique J.-A. Miller, pour n’être “pas-toute” prise dans ce semblant, fait objection à l’universel »[17]. D’où l’assertion de Lacan que pour l’homme, la femme représente « l’heure de la vérité »[18]. Pour lui, une femme met à l’épreuve le semblant phallique dont il est porteur et dont il se croit le propriétaire. Les soirées et les conférences de cette année seront l’occasion d’explorer les nombreuses subtilités cliniques qui s’en dégagent, et de saisir ce qui fait que la femme est plus vraie, plus réelle[19].

L’étude du Séminaire XVIII et du cours de Jacques-Alain Miller fraie une voie vers ce réel dont parle Lacan, pas sans les semblants.

Benoît Delarue

Pour le bureau du pôle de Rennes de l’ACF en VLB

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 26.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 15 février 1977, inédit.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., p. 28.

[4] Miller J.-A., « De la nature des semblants », Mental, n°35, janvier 2017, p. 103.

[5] Delarue A., « Les traces du père », Abords. Bulletin de l’ACF en MAP, n°40, à paraître en 2022.

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., p. 15.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Miller J.-A., in Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., quatrième de couverture.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., p. 32.

[11] Cf. Miller J.-A., « De la nature des semblants », op. cit., p. 100.

[12] Miller J.-A., « Des semblants entre les sexes », in Miller J.-A. (s/dir.), Scilicet. « La femme n’existe pas », Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2022, p. 7.

[13] Miller J.-A., « De la nature des semblants », op. cit., p. 100.

[14] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., p. 31.

[15] Ibid., p. 31-32.

[16] Miller J.-A., in Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., quatrième de couverture.

[17] Ibid.

[18] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours…, op. cit., p. 34.

[19] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 223 : « Dans l’ensemble, la femme est beaucoup plus réelle et beaucoup plus vraie que l’homme ».