L’amour est-il une anti-toxicomanie ?

On mesure, par les sondages que l’on tente de réaliser, que les jeunes font moins l’amour que leurs aînés. On constate aussi que la guerre des sexes a laissé place à des guerres intersectionnelles ; celles-ci épousent les lignes de fracture qui progressent dans le lien social. Cette extension du communautarisme semble vérifier un « principe de séparation des sexes », comme l’affirmait récemment J.-A. Miller. Et rien ne semble en mesure de freiner cet éloignement des continents sexuels, pas même les catégories intermédiaires qui, du neutre, construisent des ponts qui éloignent les rives. Et pendant ce temps-là, les affaires continuent comme croient le repérer des sociologues comme Eva Illouz qui fait de l’amour une marchandise. Mais n’est-ce pas plutôt que notre amour s’adresse désormais aux marchandises ? Ainsi Gunther Anders pouvait-il déclarer, à l’inverse de Marx, que « l’opium est désormais la religion du peuple » [1]. Et alors cela expliquerait que l’amour monte au zénith de l’idéal, séparé du désir comme l’affirme Philippe La Sagna [2]. Car si le capitalisme « laisse de côté […] les choses de l’amour » [3] comme le dit Lacan, il n’en subsiste pas moins aussi inatteignable que sa perfection l’exige. Mais alors il n’y a plus que la jouissance puisqu’aucun amour ne lui permet de « condescendre au désir » [4]. Et la toxicomanie est alors un « anti-amour », indique Jacques-Alain Miller [5]. Dans le contexte de la forclusion du réel de l’inconscient par le hors-discours de la science qui exige la « transparence » des sujets, la psychanalyse demeure alors le dernier « refuge de la pudeur » [6]. L’amour aurait-il chance de s’y épanouir à nouveau ? Au début comme transfert et à la fin comme « nouvel amour ». Serait-ce alors qu’il pourrait devenir en retour comme un antidote, une anti-toxicomanie ? Il le pourrait car il serait alors plus réel. Et c’est pour cela que Lacan nous promet, au un par un, la sortie du discours capitaliste [7].

[1] Anders G., L’obsolescence du sens, Apache éditions, 1972.
[2] La Sagna P., « Love addiction », UFORCA, disponible sur Internet, https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwirmo6FpKL9AhX1UqQEHXcZAmQQFnoECAoQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.lacan-universite.fr%2Fwp-content%2Fuploads%2F2016%2F12%2F2_PLSagna.pdf&usg=AOvVaw1Z6F3h_s1A51ibcxpntOfw
[3] Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Le Seuil, 2011, p. 96.
[4] Lacan J., Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 209.
[5] Miller J.- A., « La théorie du partenaire », Revue belge de psychanalyse Quarto, n° 77, 2002, pp.6-33.
[6] Borie J., « Lacan, la vie », Hebdo Blog n° 219, 8 Novembre 2020, https://www.hebdo-blog.fr/lacan-la-vie/
[7] Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 520.