18è conversation du TyA-Rennes avec Pierre Sidon, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP
Depuis les années 2010, le phénomène du chemsex prend de l’ampleur en France. Il s’agit de pratiques sexuelles combinées à la consommation de drogues de synthèse au fort pouvoir stimulant et euphorisant, la rencontre des partenaires comme celle de la drogue étant facilitée par des sites internet et applications dédiés. Le chemsex défraie régulièrement la chronique ces dernières années et inquiète les autorités sanitaires (overdoses, augmentation des cas d’infections virales, etc.). Initialement issu du milieu gay, dont nous entendons beaucoup de témoignages, le phénomène concernerait aujourd’hui une population plus large.
Cette combinaison de la prise de drogue et du rapport sexuel n’est pas nouvelle, mais l’extension du chemsex interroge à nouveaux frais les cliniciens sur le point précis de la satisfaction recherchée. Lacan, en 1975, indique en effet qu’« il n’y a aucune autre définition de la drogue que celle-ci : c’est ce qui permet de rompre le mariage avec le fait-pipi »[1]. Le « fait-pipi » est la traduction du mot allemand d’un célèbre cas freudien de phobie infantile. L’enfant désignait alors son organe phallique. Autrement dit, Lacan conçoit la prise de toxique comme une façon de rompre avec l’angoisse qui surgit, spécialement pour le garçon mais, par extension, pour tout sujet quel que soit son genre, dès lors qu’une jouissance inédite fait irruption dans le corps. Au-delà de ce point d’énigme qui concerne la jouissance du corps propre, Lacan nous rend sensible au fait qu’entre un sujet et son partenaire, le rapport harmonieux, y compris sur le plan sexuel, ne relève d’aucune évidence. Il n’y a pas de rapport est plutôt la formule qui régit les relations entre l’Un et l’Autre. À ce titre, qu’elle soit limitée ou qu’elle déborde, la sexualité « fait trou dans le réel » [2]. Et le parlêtre cherche avant tout à se défendre de la rencontre avec le réel.
Qu’une consommation de drogue permette une forme d’accomplissement sexuel nous pose donc question et nécessite d’être examiné au cas par cas. Du côté de l’addiction, les témoignages convergent sur un point de bascule, une recherche d’un toujours plus, de rapports sexuels, de produits consommés, qui confine au sans limite, pour finalement desservir le sujet. La rupture des noces avec le produit survient alors. Qu’est-ce qui se joue là ? Qu’est-ce qui se jouit, au-delà du plaisir ? Que nous apprennent ces nouvelles modalités de sexualité sous drogue sur la relation du sujet à l’autre, à la parole, à son propre corps ? Et, au-delà de l’abord clinique, que révèlent-elles du traitement par le sujet contemporain du malaise social ? S’agit-il de tentatives pour faire exister une forme de rapport satisfaisant à l’Autre ? Ou bien de lier les corps sans se risquer à la rencontre du désir de son partenaire ?
La psychanalyse nous enseigne que cette « jouissance répétitive, celle que l’on dit de l’addiction […] n’a de rapport qu’avec le signifiant Un »[3], comme une itération infinie du même, pour laquelle Jacques-Alain Miller précise que « ce qui fait fonction d’Autre […], c’est le corps lui-même »[4]. Alors, peut-on espérer voir le sujet se décaler de sa jouissance solitaire pour la faire passer a minima au champ de l’Autre ? L’amour en est-il la voie ? Car ici encore, l’addiction guette[5], quand ce n’est pas la relation dite toxique[6]. Quelle pourrait être notre orientation dans cette clinique délicate ?
Pierre Sidon, psychanalyste membre de l’ECF et de l’AMP, psychiatre directeur de deux CSAPA à Paris et en région parisienne, a pu faire proposition d’un lien social renouvelé grâce à la psychanalyse. Le transfert au sujet-supposé-savoir « est bien souvent la source d’un lien réel qui, se nouant, redonne chance au vrai amour d’instaurer un nouveau lien social pour ces sujets, défiant les pronostics les plus pessimistes. La psychanalyse, dernier refuge de l’amour ?[7] ». Nous aurons le plaisir de l’entendre lors de notre conversation nous donner son éclairage sur l’abord clinique de ces pratiques nouvelles.
[1] Lacan J., « Séance de clôture. Journées d’étude des cartels de l’École freudienne de Paris », 13 avril 1975, Lettres de l’École freudienne, no 18, 1976, p. 268.
[2] Lacan J., « Préface à l’éveil du printemps », Autre Écrits, Seuil, 2001, p. 562.
[3] Miller J.-A., « L’Un est lettre », La Cause du désir, n° 107, 2021, p. 34.
[4] Ibid.
[5] Sidon P. « Love addicts », La Cause du désir, n° 88, 2014, pp.54-57.
[6] Cf. Leguil C., L’ère du toxique. Essai sur le nouveau malaise dans la civilisation, PUF, 2023.
[7] Sidon P., « Love addicts », op. cit.
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Auditorium de la Maison des Associations
Cours des Alliés, Rennes
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