Édito
Paternités
Cécile Favreau de Rivals et Françoise Haccoun
Que reste-t-il du père à l’époque de son évaporation annoncée par Lacan ? Loin de signifier sa disparition, cette formule ouvre à une pluralisation inédite de ses formes et de ses effets. Lacan dégage la fonction de père de celle du pater familias qui impose l’autorité et la loi. Il est parfois absent, défait, imaginé, déplacé – mais la question qu’il incarne, elle, demeure vive. Lacan parle alors de versions du père, une par une, dans la singularité de chacun comme autant d’inventions venant voiler ce qui reste irréductible dans le savoir. La psychanalyse offre une boussole pour s’orienter dans cette mutation. Au sein des institutions, des sujets viennent chercher comment se débrouiller avec ce père qui manque, qui déborde ou qui s’est effondré. Lacan opère un passage du père au singulier à la pluralisation du Nom-du-Père. Dans cette logique, la clinique borroméenne de l’enseignement de Lacan sur les nœuds vise à réduire la référence paternelle. Le terme de suppléance correspond à un au-delà du Nom-du-Père de l’Œdipe. Reste au parlêtre à inventer des solutions singulières, agrafes, suppléances, inventions afin de bricoler un usage du Nom-du-Père là où le symbolique fait défaut. Qu’il s’agisse de réinventer sa place au cœur d’une famille, de faire face à une transmission impossible ou de répondre au malaise d’une époque en perte de repères, la figure paternelle revient là où on ne l’attend pas, en creux, en excès ou en symptôme. Mais que devient, dans cette mutation, l’armature symbolique des institutions elles-mêmes autrefois soutenues par l’Idéal du père ?
Ce numéro explore ces trajectoires contemporaines de la paternité entre effacement, détournement et reprise. Car si se passer du père, à condition de s’en servir reste une orientation, encore faut-il savoir à partir de quel trou s’ouvre cette invention.
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