Accès à la psychanalyse trouve sa singularité

par Caroline Doucet
Avec la psychanalyse, il s’agit de trouver sa singularité, elle se loge dans les trous de ce qu’on croirait être l’universel de l’espèce[1]. Le bulletin Accès à la psychanalyse a trouvé sa singularité, et son public. L’Inédit, désormais en ligne sur le site de l’Association de la Cause freudienne en Val-de-Loire Bretagne[2], lui consacre ce numéro spécial.
Dans la multiplicité des discours caractéristiques de l’époque de l’Autre qui n’existe pas, Accès… tient sa feuille de route de l’orientation lacanienne. Ouverte à toutes les résonances sémantiques de la langue, la psychanalyse s’applique « au plus large spectre des contextes possibles »[3]. Dans cette veine, Accès… tire sa force de lire la diversité des symptômes de l’époque comme étant ce qui vient du réel et d’en transmettre une lecture accessible à tous ceux qui ont un désir d’en savoir quelque chose. Considérant le discours analytique digne « d’être porté à la hauteur des plus fondamentaux parmi les liens [sociaux] qui restent pour nous en activité »[4], le réalisme lacanien, à l’envers du sens commun, éclaire l’esprit du temps faisant valoir l’effectivité du discours analytique dans le champ des pratiques.
Nombreux sont ceux qui en Val-de-Loire Bretagne, depuis maintenant douze ans, participent à l’aventure Accès à la psychanalyse. Solenne Daniel, Alexandre Gouthière, Remi Lestien, Christelle Sandras et Marion Le Perff-Trémel s’en font ici l’écho, montrant en quoi Accès… participe des objets qui rendent la psychanalyse désirable. Dans un et cætera soucieux d’articuler l’usage à l’invention, le prochain numéro d’Accès… se prépare – à paraître en septembre, il sera, à n’en pas douter, unique en son genre ![1] Cf. Miller J.-A., in Onfray M. & Miller J.-A., « Pour en finir avec Freud ? », dialogue animé par A. Lacroix, disponible sur YouTube.
[2] L’Inédit. Actualité du discours analytique en Val-de-Loire Bretagne, disponible sur le site de l’ACF en VLB.
[3] Cf. Laurent É., « Politique de l’unaire », La Cause freudienne, n° 42, mai 1999, p. 28.
[4] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 518.
Accès à la psychanalyse
N° 14 – octobre 2021
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Amour, vérité et réel

par Remi Lestien

En juillet 2010, le premier numéro du bulletin Accès paraissait au sein de notre région Val-de-Loire Bretagne. Mais il convient d’ajouter Accès à la psychanalyse, car c’est l’indication précise que Jacques-Alain Miller a voulu donner au titre. Il souhaitait que ce bulletin soit une manière de fédérer les nombreux pôles d’implantation de l’Association de la Cause freudienne en Val-de-Loire Bretagne, en partageant les travaux des uns et des autres, mais tout autant une manière de s’adresser à tous ceux, le plus grand nombre, qui souhaitent accéder à l’orientation lacanienne.
Il s’agit alors d’offrir à ce large public des textes accessibles et enseignants, un outil de découverte des textes fondamentaux de la psychanalyse de Freud et de Lacan, une bibliothèque de travail et, finalement, un appui théorique face aux objets du monde si facilement interchangeables.
J.-A. Miller nous donnait comme mission de maintenir vivace l’opinion lacanienne, de la propager dans le public, d’enrichir la théorie – ce que Lacan appelait le mathème – et de se confronter aux impasses du lien social et aux embrouilles avec la jouissance. Cette orientation éthique a été maintenue tout au long de ces douze dernières années jalonnées par la parution de quatorze numéros.
Les titres de ces numéros énumèrent un grand nombre des manifestations du malaise dans le lien social et la civilisation – ces lieux où le symptôme apparaît dans sa facette inéliminable. C’est la dimension politique de l’orientation lacanienne qui se doit de rappeler la part de jouissance que l’être de langage rencontre et que la science ne peut éliminer.
J.-A. Miller s’était adressé en 2002 à l’opinion éclairée, en quelques lettres percutantes[1]. C’est aussi à ce public que nous nous adressons – à tous ceux qui rejettent la haine de l’Autre, celle que supposent les regroupements de mêmes ; à tous ceux qui refusent les seules solutions managériales des experts ; à tous ceux qui se méfient des protocoles scientistes et uniformisants.
À cette opinion, qui ne se résout ni au repli frileux ni aux croyances béates en un bonheur corporel sans ombre, Accès à la psychanalysepropose de maintenir vive l’invention freudienne de l’inconscient, de rendre compte des impasses du non-rapport sexuel, de faire découvrir une clinique qui donne à voir toujours le plus singulier de chaque sujet, encombré d’un corps jouissant et de s’enseigner du monde de l’art et de la culture.
Bref, ce modeste bulletin est ambitieux, puisque, à sa place dans le grand mouvement de l’École de Cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, il tente d’interroger les croyances et d’éclairer les incertitudes de notre monde d’êtres parlants.
Accès à la psychanalyse doit avoir pour visée d’être un aiguillon visant à créer du nouveau, car si « la psychanalyse n’est pas révolutionnaire, […] elle est subversive […] à savoir qu’elle va contre les identifications, les idéaux, les signifiants-maîtres »[2].[1] Miller J.-A., Lettres à l’opinion éclairée, Paris, Seuil, 2002.
[2] Cf. Miller J.-A., « Lacan et la politique », entretien avec J.-P. Cléro & L. Lotte, Cités. Philosophie, politique, histoire, n° 16, octobre 2003, p. 105-123, disponible sur le site cairn.info.

Éditer l’inédit

par Christelle Sandras

J’ai accepté avec enthousiasme la proposition de la Délégation régionale de travailler comme co-rédactrice du bulletin Accès à la psychanalyse. J’y apprends le vivant de la langue.
Édition se définit par la « reproduction et diffusion (d’une œuvre intellectuelle ou artistique) par un éditeur »[1]. J’apporterais une nuance, il ne s’agit pas seulement de reproduire un texte : une transformation s’opère. Dans un travail sur la langue, l’opération est de pouvoir remanier un texte : le réduire, le modifier, lui donner une forme plus écrite qu’orale, tout en gardant l’énonciation, le style de l’auteur. Il y a là pour moi un côté ludique, vivant. La racine latine du mot edere l’indique, c’est « produire, faire paraître au jour »[2].
Mais il y a aussi dans edere « faire sortir, mettre dehors ; de e, et dere pour dare, donner »[3]. L’auteur doit en effet se séparer de sa production. Lacan, dans le Séminaire XIII, parle de la poubelle : « Rien de plus fascinant que ces êtres nocturnes qui y chopent je ne sais quoi dont il est impossible de comprendre l’utilité. […] Je crois que si le mot poubelle est venu si exactement se colloquer avec cet ustensile, c’est justement à cause de sa parenté avec la poubellication »[4]. Publication, poubellication, l’écrit à la poubelle. Loin d’être un objet agalmatique, l’objet publié se veut plutôt du côté du déchet. Lacan nous oriente ici sur la question de la transmission du savoir. Un objet édité et publié ne donne pas la promesse d’un savoir émis, prêt-à-porter, qu’il suffirait de réceptionner. Lacan nous invite plutôt à en faire un usage, à aller choper, dans un ouvrage, quelque chose dont on pourrait se servir. Le lecteur doit aussi y mettre du sien pour que du nouveau puisse se produire.
Dans l’éditorial du premier bulletin d’Accès à la psychanalyse, Vincent Moreau pose également la question de la transmission. Comment peut se transmettre non pas un savoir plein, mais « cette révolution subversive du discours analytique »[5], un savoir troué dont il s’agit de faire usage ? Le nom de cette newsletter, L’Inédit, s’en fait l’écho. Ce qui n’est pas édité. Peut-être, ce qui ne peut s’éditer. Transmettre, à partir de ce qui ne peut se dire, du plus inédit de chaque un.[1] Entrée « édition » dans Le Robert. Dico en ligne, disponible sur internet.
[2] Pruvost J., « Livre Paris 2019 : pourquoi parle-t-on “d’éditeur”? », Le Figaro, 16 mars 2019, disponible sur internet.
[3] Entrée « éditeur » dans Le Littré, disponible sur internet.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XIII, « L’objet de la psychanalyse », leçon du 15 décembre 1965, inédit.
[5] Moreau V., « Éditorial », Accès à la psychanalyse, n° 1, juillet 2010, p. 5.

Une folie qui nous regarde

par Alexandre Gouthière

Le mot, qui m’est venu en écho à la soirée autour du bulletin Accès à la psychanalyse numéro 14 du 23 mars 2022, est celui de dignité. Une dignité du thème tout d’abord – L’expérience de la folie, qui résonne comme une interpellation sur la place que nous voulons donner à cette question proprement humaine, dans une époque qui l’évacue. La dignité, également, de considérer, en suivant Lacan, que dans la rencontre avec cette expérience déroutante, il y a quelque chose à apprendre, qui nous concerne tous.
Cet écho trouve sa source dans l’élégance du témoignage de nos deux invitées sur leur rencontre avec la folie, et sur le désir de bien dire qui en a découlé pour elles, afin d’en rendre compte au plus juste. Sarah Chiche et Joy Sorman nous ont ainsi fait part, chacune à leur manière, de leurs témoignages profonds quant à leurs démarches d’écrivaines sur cette expérience : élaborer une scène romanesque susceptible de rendre compte d’un moment de folie intime et de la trajectoire qui s’ensuivit, pour S. Chiche ; se rendre à l’hôpital psychiatrique pour faire l’expérience d’une autre langue et écrire dans le but de faire entendre sa dimension poétique, pour J. Sorman.
Ces conversations ont permis à nos invitées de nous faire entendre qu’il manque toujours quelque chose dans la langue pour dire ce qu’on éprouve, chacun devant alors y faire des trouvailles pour cerner l’altérité foncière qu’il recèle en lui-même. Elles ont rendu sensible en quoi la folie réside fondamentalement dans cette faille, qui touche au nouage singulier pour chacun de la langue avec son corps.
De par l’authenticité de ces échanges, la précision des mots et des formules de nos invitées, cette rencontre autour de l’écriture nous a livré une véritable clinique de la folie, où le savoir a priori est d’emblée mis en échec et où, si une vérité sur l’expérience peut s’apercevoir, ce n’est que dans la singularité du dire de chacun sur celle-ci. En cela, cette soirée fut une leçon d’humilité. Après-coup, loin de pouvoir regarder la folie comme une chose relégable aux abords de la cité, nous nous en sentons intimement concernés. Cette rencontre nous l’a fait éprouver : la folie nous regarde et elle exige de nous en retour d’avoir le courage de l’entendre avec dignité.

Le cartel ou la nécessité d’un manque dans le savoir pour un gain nouveau

par Solenne Daniel

Dès 1964, Lacan institue le cartel au fondement même de son École[1], ce qu’il réaffirmera lors de son Séminaire Dissolution en faisant de cette modalité singulière et inédite de travail l’« organe de base »[2] de l’École.
Décider de travailler en cartel, « c’est, comme le dit Franck Rollier, donner un coup de pied dans une porte pour entrer dans un espace différent de celui qui est agencé par les discours du maître et de l’université »[3]. En effet, le cartel ne se situe pas du côté de l’efficience, mais cherche à éviter l’écueil de tomber dans le discours du maître et celui de l’université. Le cartel tend plutôt à maintenir ouverte la question – c’est ce qui fait son caractère inédit.
Formellement, il s’agit d’un ensemble de cartellisants – qui se choisissent ou qui sont tirés au sort –, réunis par la contingence du désir de travailler sur un point, parfois autour d’un texte, qui a suscité un désir de savoir. Ils sont réunis par une question propre, qui maintient un certain manque dans le savoir. À une époque où internet peut donner l’illusion d’être une bibliothèque au savoir illimité et à portée de clic, le cartel opère à rebours, privilégiant la question. Dans le cartel, il n’y a pas de maître détenant un savoir acquis par avance, ni de disciple passif, mais plutôt un ensemble éphémère où chacun se retrousse les manches, en quête d’un bout de savoir nouveau.
C’est la joyeuse trajectoire du cartel : l’envie et la construction à plusieurs d’une élaboration de savoir propre, un gain de savoir. Le cartel convoque en premier lieu la parole et chacun parle en son nom. Les cartellisants, chacun à leur façon, ont leur trait propredans leur rapport au savoir.
Au commencement, le cartel était opposé aux enseignements qui distillaient leur savoir, comme le dit Jacques-Alain Miller : « [Le] cartel, tel que Lacan l’apporte dans l’Acte de fondation, est une machine de guerre contre le didacticien et sa clique »[4]. J.-A. Miller compare le cartel à un essaim où « chacun doit y être ès qualités ; […] les membres travaillent à partir de leurs insignes et non pas de leur manque-à-être. Il revient au plus-un […] d’obtenir […] que les membres de ce cartel aient statut de S1, ainsi que lui-même […]. [Ce] sont des maîtres, des signifiants-maîtres, qui sont au travail – pas des sujets supposés savoir, ni des savants. La fonction de celui qui se prête au plus-un (pour abréger, le plus-un) est de faire en sorte que chaque membre du cartel ait son trait propre ; c’est […] la condition pour avoir un travail qui produise du savoir »[5].
Cette question, propre à chaque cartellisant, amène donc à d’autres perspectives. Lacan l’a bien compris, puisqu’il y a mis le principe d’une permutation. Se mettre en cartel, c’est donc l’envers du sans-limite : la fin du cartel est inscrite dès son commencement, le nombre de membres est limité, et le plus-un invite à élaborer sans faire le maître, introduisant des points de suspension. Le cartel, maintenu vif grâce à cette question, s’arrête sur une ouverture, c’est-à-dire une scansion.

[1] Cf. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 235.
[2] Lacan J., « D’écolage », Le Séminaire, Dissolution, in Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, coll. La Divina, 2021, p. 56.
[3] Rollier F., « Le cartel, à l’envers de la ségrégation » conférence donnée à Lausanne, 14 février 2015, disponible sur internet.
[4] Miller J.-A., « Le cartel dans le monde », disponible sur le site de l’École de la Cause freudienne.
[5] Miller J.-A., « Cinq variations sur l’élaboration provoquée », disponible sur le site de l’École de la Cause freudienne.

Un usage d’Accès à la psychanalyse en institution

par Marion Le Perff-Trémel

J’interviens régulièrement en tant que formatrice lors de rencontres auprès d’accompagnants éducatifs et sociaux. Pour une journée intitulée « Être parents / être enfants au XXIe siècle », je me suis appuyée sur deux numéros d’Accès à la psychanalyse : Sous les protocoles, il court, il court… le désir[1] et Le symptôme politique[2]. Ce bulletin, plutôt accessible, permet d’aborder des points théoriques tout en ne cédant pas sur l’éthique de l’orientation lacanienne et sur certains signifiants.
Il est un outil de transmission pour se décaler des recommandations de bonnes pratiques, aborder le sujet au plus près de ce qu’il est et de là où il en est – et non de là où l’institution, la famille, les professionnels voudraient qu’il soit. Il remet en question ce qu’est la prétendue normalité, car cette interrogation revient fréquemment : « Est-ce que c’est normal ? » Par exemple, la lecture qu’offre Philippe Carpentier de l’infanticide de Fabienne Kabou m’a été précieuse. Intitulé « Berck »[3], son article est une manière d’illustrer que l’instinct maternel n’existe pas. La clinique, certains faits divers, quelques films[4] démontrent qu’il n’y a pas d’harmonie préétablie entre mère et enfant. Pourtant, les étudiants sont souvent surpris, nombreux y croient. Je ne suis cependant pas là pour les convaincre du contraire. Ma position est plutôt de les faire réfléchir aux mille et une manière d’être mère. En effet, « L’absence de “décodeur” et de “mode d’emploi” implique que chaque femme se trouve en position d’inventer à chaque moment sa réponse maternelle »[5], indique Esthela Solano-Suarez. Essayer de saisir la logique de cette mère au-delà de l’horreur de son acte, aborder des situations de leurs institutions, au cas par cas, leur laisse la possibilité de faire un pas de côté. Cela fait souvent débat. J’accueille, je fais préciser, je ponctue.
À partir d’Accès à la psychanalyse, il s’agit de proposer d’autres réponses que celles toutes faites, qui seraient les bonnes et les mêmes pour tous. Finalement, lors de ces journées de formation, il s’agit de démontrer l’efficace et la position éthique de l’orientation lacanienne.

[1] Accès à la psychanalyse, n° 8, Sous les protocoles, il court, il court… le désir, octobre 2015, et notamment : Zuliani É., « Voulons-nous des enfants sages ? », Metz L., « Apprendre quoi ? », & Guilaumé G., « Pourquoi les enfants n’obéissent plus ? ».
[2] Accès à la psychanalyse, n° 11, Le symptôme politique, octobre 2018.
[3] Cf. Carpentier Ph., « Berck », Accès à la psychanalyse, n° 11, op. cit., p. 125-129.
[4] Cf. Rossellini I., Mammas, film documentaire, France, 2013.
[5] Solano-Suarez E., « Maternité blues », in Alberti Ch. (s/dir.), Être mère. Des femmes psychanalystes parlent de la maternité, Paris, Navarin, 2014, p. 77.